Base Toliara : Une Relance Stratégique ou un Pari Risqué pour Madagascar ?
La récente décision du gouvernement malgache de lever la suspension du projet Base Toliara, désormais sous la direction de la société américaine Energy Fuels Inc., soulève des interrogations majeures. Pourquoi un projet bloqué depuis 2019 pour des raisons environnementales et sociales est-il soudainement relancé ? Quels sont les véritables enjeux économiques et géopolitiques de cette reprise ?
Si le gouvernement malgache espère encaisser rapidement les fonds issus du projet, il se trompe lourdement. Les nombreuses contraintes réglementaires, environnementales et sociopolitiques que nous avons mentionnées nécessitent du temps pour être levées. L’exploitation ne pourra pas démarrer tant que des aspects critiques comme la modification du permis minier, la réglementation sur la radioactivité et la gestion des fonds de contrepartie ne seront pas clairs. Selon nos estimations, ces procédures pourraient prendre plusieurs années si elles sont menées dans le respect des normes internationales. Sauf, bien entendu, si le gouvernement décide de forcer les choses comme à son habitude, quitte à ignorer les règles de gouvernance et les consultations locales.
Un revirement politique inattendu
Suspendu en 2019 sous la pression des populations locales et des organisations environnementales, le projet Base Toliara était alors jugé trop controversé pour être poursuivi. Officiellement, le gouvernement évoquait des préoccupations liées à l’impact écologique, aux retombées pour la population locale et au manque de transparence dans les négociations. Cependant, contre toute attente, le Conseil des ministres de novembre 2024 a annoncé la reprise du projet. Le timing interroge : qu’est-ce qui a changé entre 2019 et 2024 pour justifier un tel retournement ?
Plusieurs hypothèses émergent. D’abord, Madagascar traverse une crise économique marquée par une inflation galopante et un déficit budgétaire croissant. L’investissement d’Energy Fuels Inc., estimé à 591 millions USD, représente une manne financière difficile à ignorer. Le gouvernement a besoin de liquidités et voit dans ce projet un levier pour obtenir des fonds sans augmenter la pression fiscale. Ensuite, les États-Unis cherchent à diversifier leurs sources de terres rares, un marché actuellement dominé par la Chine. Madagascar, avec son gisement de monazite riche en néodyme, praséodyme et dysprosium, devient un site stratégique pour Washington. Energy Fuels, acteur clé du secteur de l’uranium et des terres rares aux États-Unis, pourrait bénéficier d’un soutien politique et financier américain pour accélérer l’exploitation. Enfin, un autre élément alimente la suspicion. Peu de détails ont été communiqués sur les nouvelles conditions du contrat entre Energy Fuels et le gouvernement malgache. Le Mémorandum d’Entente (MoU) signé en décembre 2024 engage Energy Fuels à financer 80 millions USD pour des projets sociaux, mais aucun détail sur la gestion de ces fonds n’a été clarifié. L’absence de transparence alimente les spéculations sur d’éventuels intérêts privés en jeu dans cette décision.
Une opposition toujours forte sur le terrain
Certains députés originaires de cette région ont immédiatement dénoncé cette relance. Déjà en 2019, ils s’étaient fermement opposés au projet, estimant qu’il mettrait en danger l’écosystème local et les moyens de subsistance des pêcheurs de la région.
Les organisations de la société civile, quant à elles, rappellent que le gouvernement n’a toujours pas répondu aux préoccupations environnementales soulevées en 2019. Elles dénoncent aussi le flou persistant sur la gestion des déchets radioactifs issus de la monazite et le manque de concertation avec la population locale. Face à ces contestations, le gouvernement se veut rassurant et affirme que toutes les mesures seront prises pour garantir un développement responsable du projet.
Un projet réalisable dans le contexte actuel ?
Madagascar a un historique complexe avec les investissements étrangers, et plusieurs projets miniers (Ambatovy, QMM) ont montré les limites de la gouvernance locale en matière de gestion des ressources naturelles. Si l’accord avec Energy Fuels semble économiquement attractif, plusieurs facteurs de risque compromettent son succès.
D’un côté, certains éléments pourraient favoriser la réussite du projet. Un investissement direct important pourrait stimuler l’économie locale, tandis que la demande mondiale croissante de terres rares garantirait un marché pour la monazite malgache. De plus, le soutien politique et financier des États-Unis, qui cherchent à réduire leur dépendance à la Chine, pourrait accélérer le projet.
Cependant, les obstacles sont nombreux. Une gouvernance déficiente, avec des doutes sur la gestion des fonds issus du projet, risque de freiner son bon déroulement. De plus, un manque de transparence dans les négociations entre Energy Fuels et l’État alimente la méfiance. L’opposition locale forte pourrait également entraîner des blocages sociaux et politiques.
Enfin, un risque environnemental mal maîtrisé, notamment sur la gestion des déchets radioactifs, demeure une menace sérieuse.
Un projet sous haute surveillance
La relance du projet Base Toliara intervient dans un contexte économique et géopolitique tendu. Si le gouvernement mise sur cet investissement pour redresser la situation financière du pays, les nombreux facteurs d’instabilité politique et sociale pourraient rendre l’exécution du projet difficile. Surtout, tant que les blocages réglementaires, environnementaux et fiscaux ne seront pas levés, il est illusoire de penser que l’État malgache pourra encaisser quoi que ce soit. Seule une approche méthodique, respectant les normes et impliquant toutes les parties prenantes, pourrait mener à une exploitation viable.
Mais à voir la manière dont les décisions sont prises actuellement, la tentation de forcer les choses semble bien plus probable et risque de se retourner contre le pouvoir à l'exemple de l'accaparement des terres arables par l'entreprise sud-coréenne Daewoo Logistics qui a fait tomber le régime en 2009... Est-ce que l'histoire se répète ?
Affaire à suivre…
Par : RAMAHIRATRA
Commentaires
Enregistrer un commentaire